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[LIVRE] L’islam devant la démocratie (Philippe d’Iribarne)

L'islam devant la démocratie (par P. D'iribarne)Présentation de l’éditeur : Pourquoi les espoirs de voir enfin la démocratie s’épanouir dans un pays musulman sont-ils sans cesse déçus ? Ce n’est pas qu’y manque le désir d’un pouvoir juste, d’un droit du peuple à la parole et du règne de la loi. Mais c’est la place que la démocratie donne au pluralisme des opinions, au respect des minorités, à la libre critique qui fait question. La crainte de la division, le désir d’obtenir une unité qui sans cesse se dérobe, la fascination pour la certitude, marquent le monde musulman depuis ses origines. Le Coran évoque sans cesse les preuves incontestables qui accompagnent son message, preuves face auxquelles il n’y a rien entre la soumission des croyants et le déni haineux d’infidèles honnis de Dieu. Dans un tel univers mental, comment les doutes, les divisions, les tâtonnements d’une démocratie pluraliste pourraient-ils être les bienvenus ?

Gallimard, Le Débat, 192 p, 16,90 €

L’auteur, Philippe d’Iribarne, est sociologue, directeur de recherches au CNRS. Poursuivant sur la lancée de ses précédentes approches sociologiques, l’auteur cherche à faire le lien entre les stratégies des acteurs et des institutions et l’univers mental où elles prennent sens. Il privilégie dans ce livre l’univers religieux comme facteur explicatif pertinent de l’évolution politique des sociétés. Partant du constat que « si les religions ne sont pas tout, elles ne sont pas rien. » (p 38), il explore l’univers de sens de l’islam et les multiples stratégies qui en découlent.

Recension de Jean-Claude Devèze

Ce livre aborde courageusement un sujet difficile, celui de l’islam face à la démocratie ; en effet, au delà des accidents de l’histoire et du jeu des forces politiques, c’est le désir d’unité de la communauté de croyants musulmans qui est confronté aux risques de divisions liés aux démarches tâtonnantes vers la démocratie.

Poursuivant sur la lancée de ses précédentes approches sociologiques, l’auteur cherche à faire le lien entre les stratégies des acteurs et des institutions et l’univers mental où elles prennent sens. Il privilégie dans ce livre l’univers religieux comme un facteur explicatif pertinent de l’évolution politique de ces sociétés. Partant du constat que « si les religions ne sont pas tout, elles ne sont pas rien. » (p 38), il explore l’univers de sens de l’islam et les multiples stratégies qui en découlent.

Se demandant pourquoi des forces obscurantistes liées à l’islam continuent à jouer un aussi grand rôle, explorant dans la philosophie et le droit islamiques la fascination pour la certitude, Philippe d’Iribarne conclut sur « la difficulté du monde musulman à faire vivre une démocratie pluraliste ouverte sur l’incertitude et le débat » (p 173). En effet tout pluralisme y entre en conflit avec le désir d’accord unanime sur ce qu’est le vrai et le bien.

Une des explications de ce besoin d’unanimisme tient d’abord au Coran qui, pour chaque musulman, constitue un message de vérité incontestable, basé sur des preuves face auxquelles il n’y a rien entre la soumission des croyants et le déni haineux d’infidèles honnis de Dieu. Cette crainte de division renvoie aussi bien à la communauté idéalisée des premiers croyants qu’au besoin de s’unir face à un monde occidental trop longtemps dominant. L’auteur souligne à la fin du livre qu’un occident « marqué par une perte de repères et de valeurs » (p.182) n’aide pas le monde musulman à trouver des réponses à des questions comme celle de la place des minorités et celle des rapports entre l’individu et la communauté.

L’auteur, s’interrogeant sur le rapport de l’islam au politique et au pouvoir, rappelle que seul Dieu est souverain ; la souveraineté appartenant à Dieu, se pose la question de « à qui la souveraineté de Dieu doit-elle être confiée sur terre ? » (p. 118). Privilégiant la question des évolutions difficiles en cours vers la démocratie, Philippe d’Iribarne n’approfondit pas les ambiguïtés découlant des stratégies de pouvoir s’appuyant sur la sphère religieuse et sur la façon de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

Une des questions posées les plus délicates est celle du rôle du Coran dans l’islam par rapport à la place de la Bible pour le christianisme. L’auteur parle pour l’islam d’une référence à des preuves et pour le christianisme à des signes ; malgré ceux-ci, les disciples du Christ hésitent à s’engager. Il aurait sans doute fallu plus insister sur la différence entre un Coran dicté par Allah à Mahomet et une vie de Jésus racontée par quatre récits évangéliques différents ; l’étude de ces derniers donne aux chrétiens des espaces de liberté pour des travaux exégétiques et théologiques, ce qui favorise l’esprit critique. Il aurait pu aussi être fait référence à l’école coranique qui, privilégiant la récitation des sourates par l’enfant, induit un rapport au texte sacré univoque.

En conclusion, un livre à lire, constituant une base solide pour débattre des espoirs de voir enfin la démocratie s’épanouir dans des pays musulmans et pour explorer le rôle politique de l’islam. Cet ouvrage incite aussi à s’interroger sur le statut de la vérité et sur le choix des chemins qui y conduisent. Ceci est important non seulement pour réfléchir aux exigences du pluralisme démocratique, mais aussi à la façon dont de nombreux jeunes sans repère, acculturés, s’acculturent en France grâce à l’islam et/ou l’école républicaine.

Débat avec l’auteur suite à la soirée du 12 décembre 2013

Jean-Baptiste de Foucauld :

Il faudrait sans doute bien distinguer deux choses :

  1. Le rapport à la vérité : la chrétienté ne s’est-elle pas, elle aussi, longtemps placée dans une position de vérité, non soumise au doute, car révélée, ce qui ne l’a pas empêchée de changer (il a été dit que la chrétienté avait au départ des textes et un substrat plus ouvert) ?
  2. Le rapport au religieux : je plaiderai pour ma part pour une approche intra et méta-religieuse, comme base du dialogue, ce que j’avais essayé de développer en 2013 aux Bernardins (Perspectives d’un renouveau spirituel à l’ère de la mondialisation). Il faudrait sortir par le haut de ce problème, non par le bas (comme ce fut le cas pour la chute du communisme). On pourrait ainsi montrer que la force de l’islam vient de sa formidable capacité à rendre Dieu présent là où, dans le christianisme, il a tendance à être de plus en plus lointain, « tout autre » ; mais du coup, le Dieu de l’Islam ressemble beaucoup trop à une projection toute humaine et bien trop humaine, malgré les apparences. Il perd en vérité ce qu’il gagne en présence. Il faudrait permuter les termes, que le christianisme retrouve le sens de la présence réelle, que l’islam élargisse et distancie sa vision de la vérité. Bref, il faudrait parler enfin de Dieu, en vérité et en présence, grand absent du débat qui le concerne. Ou encore il faudrait que les chrétiens pratiquent davantage l’Evangile et les musulmans un peu moins le Coran.

Sur ce second point, il doit y avoir des possibilités d’approche empirique, mais la gravité de la question socioculturelle joue fortement contre, même si elle n’explique pas tout. C’est en jouant sur le vivre ensemble concret, en faisant des choses ensemble que l’on doit pouvoir progresser.

Gilles Guillaud :

J’ai été convaincu par ce que le conférencier a dit sur la religion musulmane, et même sur la comparaison avec le christianisme. Quoique j’aurais aimé avoir l’avis de musulmans. Par contre, j’ai vraiment été gêné par la confusion entretenue sur le champ d’analyse : parle-t-on vraiment de la religion musulmane alors que le titre de l’ouvrage est L’islam devant la démocratie et que les premiers mots de l’introduction sont « L’Islam inquiète » ? A la fin de cette introduction, l’auteur confirme cette confusion des champs entre islam religieux et islam politique, comme l’atteste cette citation : « Nous évoquerons en conclusion l’évolution possible du monde musulman dans sa conception de l’accès à la vérité et ce qui peut en résulter quant à la place que la démocratie est susceptible d’y tenir ». Alors que d’Iribarne n’évoque dans son livre ni les musulmans en Europe, ni les problèmes élémentaires de géopolitique, ni les possibilités du « vivre ensemble ».

Martine Huillard :

J’ai trouvé contestable la méthodologie de Philippe d’Iribarne sur les deux points suivants :

  • schématiquement, selon lui, le Coran, texte révélé, ne donnerait pas de place aux doutes, aux interprétations, d’où des mentalités qui ne questionnent pas et n’interrogent pas, ce qui formate les esprits comme fondamentalistes ;
  • sa démonstration repose sur un lien unilatéral contestable, me semble-t-il, entre la nature prescriptive des écritures sacrées et l’impossibilité d’autoriser toute interprétation personnelle (le Coran ne laisserait aucune place à l’interprétation).

Tous les musulmans sont loin de se retrouver dans l’analyse proposée. Sur le plan politique, je ne suis pas assez informée. A la fin de la réunion, je me suis dit que c’était bien qu’il n’y ait pas de musulman, car la problématique telle qu’elle était posée, ne leur laissait que la place de la justification. J’ai trouvé que la thèse exposée n’apportait pas de pistes d’ouverture, car le nœud de la problématique (qui ici se confond avec le problème) se trouve d’emblée du côté des musulmans ainsi que la solution : l’hypothèse de départ (ce sont les mentalités des musulmans qui sont en cause) sert de présupposé à vérifier.

Patrick Brun en conclusion :

L’analyse de l’auteur ne devrait-elle pas donner lieu à l’étude des diverses façons de vivre l’islam à travers le monde musulman afin d’analyser les écarts existants dans les conceptions et les pratiques non seulement entre les pays et les continents, mais aussi entre les cultures et les couches sociales, tout comme on pourrait le faire pour d’autres religions ? Ne serait-il pas également intéressant de mettre ces analyses en perspective avec les événements historiques auxquels le monde musulman a été confronté comme la colonisation ou la création d’Israël ? Enfin, comme en toute religion, la distinction entre un islam politique, un islam piétiste et un islam mystique conduirait peut-être à des résultats différents.

Dans le dialogue avec nos amis musulmans en France, ne serait-il pas plus opportun de partir de leur propre conception des rapports entre l’islam et la démocratie et donc de se mettre d’accord, d’abord, sur ce que eux et nous entendent pas démocratie ?

Remarques en réponse de Philippe d’Iribarne :

J’avais compris qu’une des préoccupations de Démocratie et Spiritualité était de surmonter la forme d’aveuglement, si répandu de nos jours (alors que Montesquieu, Tocqueville ou Weber auraient eu du mal à l’imaginer), qui conduit à croire qu’on peut réellement comprendre ce qui advient dans le champ politique en faisant abstraction du sens que les événements prennent pour les acteurs, sens lui-même très dépendant du contexte culturel, y compris de l’élément religieux de celui-ci. C’est cet aveuglement qui interdit de s’intéresser aux effets de toute dimension spirituelle dans le champ politique. Affecterait-il jusqu’à certains membres de D&S ?

Par ailleurs, je croyais que la période où on affirmait qu’il n’y a pas de textes, mais que des interprétations d’un texte et qu’on peut faire dire à un texte tout ce que l’on veut en fonction des intérêts que l’on défend, était révolue. Si cette vision était justifiée, il n’y aurait pas de différence qui mériterait qu’on s’y intéresse entre le Coran, Blanche Neige, La critique de la raison pure, Les trois mousquetaires, Mein Kampf ou la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Si l’on considère que ces textes ne sont pas équivalents, c’est que chacun d’eux a des propriétés propres, qui méritent que l’on cherche à les discerner.

En ce qui concerne les conceptions de la démocratie, il faut bien distinguer le pouvoir du peuple en corps et le respect du pluralisme et des libertés individuelles. C’est largement le premier que les musulmans ont à l’esprit quand ils célèbrent la démocratie (cf. les événements qui ont marqué, au cours de ces dernières années, la Turquie, la Tunisie et l’Egypte).

Quand on parle de rapport à la vérité, il faut bien distinguer le sentiment d’être en rapport avec la vérité et la conviction que l’on a pu enfermer cette vérité dans un langage. Dans toutes les religions, on trouve un sentiment d’être en rapport avec la vérité, mais la nature de ce rapport diffère. Le travail théologique que les musulmans sont susceptibles de faire pour réconcilier leur rapport au Coran avec une démarche critique est une chose, l’élaboration d’un bricolage permettant de trouver un modus vivendi acceptable avec l’Occident en est une autre.

Sur le premier point, on est dans le temps long. Les verrous sont énormes, et au premier chef celui de la croyance en un Coran incréé dicté par Allah au prophète Mahomet. Abandonner ce dogme, avec toutes ses conséquences (par exemple l’affirmation selon laquelle seul le Coran dit la vérité sur Jésus, alors que les Évangiles sont des textes falsifiés) représenterait un deuil terrible que l’on voit mal les musulmans faire en masse dans les décennies qui viennent.

Sur le second point, on est dans l’immédiat. La question est de savoir comment limiter l’emprise de la sorte de contre-société salafiste qui est en train de se construire en France, ce qui suppose à la fois de limiter autant que faire se peut la pression communautaire que cette contre-société exerce sur ceux qui ont plutôt envie de s’intégrer sans histoires et de limiter de même les réactions que sa présence entraîne à l’égard des musulmans en général.

 

 

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