« Nous vivons une rupture historique : notre manière d’apprécier le bonheur individuel et le bien-être national a changé. La cohésion sociale, la capacité de nous entendre et de nous supporter, fondée jusqu’ici sur l’espérance de croissance, est aussi remise en question. Désormais, elle semble dépendre, non plus de la motivation à produire d’individus consommateurs, mais de la capacité du plus grand nombre à être suffisamment assurés d’eux-mêmes pour pouvoir être pour les autres, à un moment où la crise identitaire a un impact sur le processus de construction de soi.
Et si notre devenir commun avait à voir, au fond, avec la solidité personnelle ? »
Consonance et dissonance entre le propos du livre et le projet de D&S
Dans la charte de Démocratie et Spiritualité, figure le passage suivant : « Si les organisations éprouvent de plus en plus de difficultés à maîtriser les problèmes rencontrés, ce n’est pas seulement parce que la société est plus complexe et parce que la vie collective a ses règles propres ; c’est aussi que ceux qui agissent dans les organisations n’ont pas suffisamment conscience de la nécessité de renouveler leur inspiration et de mobiliser tant les capacités démocratiques inutilisées que les ressources spirituelles latentes. Aucune société ne pourra faire l’économie de l’invention de ce double renouvellement, … »
En la transposant au niveau de la société toute entière, le livre de Patrick Boulte reprend cette réflexion de Démocratie et Spiritualité sur la viabilité de nos ensembles collectifs et sur le lien à faire avec nos fonctionnements individuels. Il pose la question du monde commun que nous voulons, de la « vie bonne » que nous souhaitons, si tant est que notre société individualisée se la pose encore. Devant sa complexification, sa fragilisation, l’érosion de ses institutions et de son patrimoine symbolique, ne faut-il pas s’intéresser davantage à la solidité de ses membres et à leur capacité de résister à la tentation de la fuite dans le divertissement, au sens pascalien du terme ? Ne faut-il pas se demander comment ces capacités s’acquièrent, appeler à davantage d’attention à soi et d’expérience de soi par voie d’intériorité, à l’ouverture à la transcendance ?
Un tel déplacement de l’attention ne va pas de soi, y compris dans une association qui y appelle dans son texte fondateur. Il suppose, en effet, la mise en suspens, au moins momentanée, de la primauté accordée à l’explication politique des fonctionnements ou des dysfonctionnements sociaux, pour concentrer son attention sur l’explication culturelle, culture étant entendue ici comme système de sens des individus, ayant un impact sur leur conduite sociale, mais aussi comme système de sens tel qu’il se dégage des fonctionnements sociaux, ayant un impact sur la construction de soi.
Des résistances se font jour, sans doute parce qu’il est difficile d’admettre que tout un chacun est une partie du problème et de se mettre devant des exigences nouvelles qu’il nous revient d’explorer personnellement. Certaines de ces exigences se retrouvent d’ailleurs dans le Pacte civique. Notre attention est ainsi appelée, entre autres, sur l’évitement de ce qui fragilise (la dérision, l’érosion du patrimoine symbolique), sur le respect et la valorisation des acteurs rares, notamment tous ceux qui sont en position d’accompagnement et d’affrontement de la complexité, et sur son bilan personnel de contributions/rétributions.
Patrick Boulte
Diplomé d’HEC, il est l’un des animateurs de l’association Solidarités Nouvelles face au Chômage. Il a publié « Le diagnostic des organisations appliqué aux associations » (PUF, 1991), « Individus en friche » (DDB, 1995), et participé à « La révolution du temps choisi » (Albin Michel, 1980).