Le capitalisme est-il durable ?
Le développement durable : politiques, élus locaux et responsables d’entreprise n’ont que ce mot à la bouche. On aimerait croire à une mobilisation générale face à un défi environnemental qu’il faut à tout prix relever, mais Bernard Perret est sans pitié : « L’humanité n’a jamais émis autant de gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère que depuis qu’on s’est mis à invoquer à tout propos le développement durable. » Et il enfonce le clou : « Ce que nous appelons communément »croissance économique« n’est pas durable. » Le lecteur pourrait s’arrêter là, persuadé que l’auteur est un de ces partisans de la décroissance, qui nous la baillent belle en nous décrivant une humanité choisissant joyeusement la « simplicité volontaire », renouant avec un type de plaisirs que l’accumulation de marchandises et la perversité de l’économie de marché nous avaient fait oublier.
Erreur complète : Bernard Perret est polytechnicien, ingénieur général des Ponts et Chaussées, administrateur de l’Insee et spécialiste de l’évaluation des politiques publiques. C’est un haut fonctionnaire respecté pour sa compétence et son sérieux. La décroissance n’est pas son truc : « Il faudrait être de mauvaise foi pour faire la fine bouche sur les bienfaits de la croissance. » S’il récuse ces rêveries dangereuses, il tire sérieusement la sonnette d’alarme. Le pire est presque sûr, écrit-il dans le titre d’un chapitre, et il estime, dans la lignée d’un Jean-Pierre Dupuy, que « prendre conscience du caractère quasi certain d’une catastrophe est le seul moyen de faire en sorte qu’elle n’arrive pas ».
Agir à froid
Le marché, à travers l’instrument des prix, ne suffira pas à nous faire changer de direction : « L’humanité a sous les pieds suffisamment de pétrole et de charbon pour éradiquer la civilisation. » Il nous faut agir en quelque sorte « à froid », quand il en est encore temps : lorsque nous éprouverons concrètement les conséquences de la dégradation du climat et de la biodiversité, il sera trop tard, parce que les atteintes au biotope seront devenues irréversibles. Et la technologie ne suffira pas davantage : il faudra trop de temps pour que la voiture propre devienne réalité. Alors, que faire ?
Certainement pas changer de système économique : « Plus personne ne croit en l’existence d’une »autre économie« qui répondrait mieux aux besoins des consommateurs et aux aspirations des travailleurs. » Mais remettre l’économie à sa place : servante plutôt que dominante, la cantonner dans ce qu’elle sait faire et l’obliger à respecter les contraintes écologiques vitales pour la société. Pour cela, l’Etat devra reprendre du service, car « si le marché demeure irremplaçable comme mécanisme d’optimisation microéconomique, ce n’est plus à lui de fixer le cap ». Il faudra aussi « apprendre à gérer ensemble ce qui appartient à tous » et constitue un « bien commun », aujourd’hui largement privé de gouvernance : « S’il est une chose que nous ne pouvons plus croire, c’est que le jeu des intérêts présents contribue naturellement au bonheur des générations futures. »
Utopie sociale
Enfin, évoquant l’analogie avec les efforts volontairement consentis par tous lors d’une guerre, Bernard Perret met en avant la possibilité d’un changement radical accepté au nom de l’importance de l’enjeu. « Le développement durable n’est pas un conte pour enfants », écrit-il, il impliquera des sacrifices et des efforts, mais chacun peut y consentir au nom « d’une utopie sociale à construire ».
On pourra évidemment lui reprocher de faire un peu vite l’impasse sur ceux qui vivent déjà difficilement, sur l’attachement de tous à des objets symboles de modernité et de liberté individuelle comme la voiture. Mais ce livre fait partie du « parler vrai ». Il ne s’égare ni dans les rêveries de la décroissance ni dans les impasses de la technologie. Il soutient qu’en prenant au sérieux la finitude de l’environnement, c’est l’avenir de l’homme que nous servons, mais que ce ne sera pas une partie de plaisir.
Bernard Perret