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Axel Honneth discutant avec les membres de D&S

Rencontre avec Axel Honneth

Axel Honneth est un philosophe et sociologue allemand. Dans le champ de la philosophie sociale et pratique, le nom d’Axel Honneth est aujourd’hui associé au projet de relancer la théorie critique amorcée par l’École de Francfort au moyen d’une théorie de la reconnaissance réciproque.

120 participants de toutes générations ont écouté au Forum 104 Axel Honneth qui s’exprimait en anglais, et était traduit par Olivier Voirol. Ce successeur d’Habermas, un des plus grands philosophes contemporains, a ensuite répondu aux questions de l’assistance.

Pourquoi l’intérêt de « Démocratie et Spiritualité » pour Axel Honneth ?

Les analyses d’Axel Honneth sur la reconnaissance mettent en valeur trois enjeux :

  1. Enjeu social : dans les quartiers difficiles, certains éducateurs de notre association (de Grenoble ou de Montreuil) ont constaté qu’il est plus facile de parler de tolérance et de respect quand on a commencé à se placer dans une interaction de reconnaissance mutuelle :
    * reconnaissance de soi qui appelle réciproquement la reconnaissance de l’autre,
    * reconnaissance de l’identité collective (souvent stigmatisante) qui ne doit pas masquer l’identité individuelle.
    La conflictualité sociale est « basée sur des atteintes morales » dit Honneth… Les luttes sociales sont des luttes pour la reconnaissance… dans les banlieues comme dans les entreprises et dans toute la société où la compétition exacerbée génère beaucoup de mépris et de mésestime. Qu’est-ce à dire ?
  1. Enjeu politique : en cette période où le politique est si souvent décrié, notre association apprécie le rôle dévolu à la politique dans les analyses d’Axel Honneth : pour lui, la politique a un rôle à jouer face à toutes ces luttes sociales pour la reconnaissance, ne serait-ce qu’en dénonçant toutes les « poches de mépris » qui subsistent : la politique ne peut se contenter d’approches technocratiques ni gestionnaires ; elle doit répondre aussi aux quêtes d’identité de ses différentes communautés ; elle doit reconnaître les citoyens comme acteurs ; le droit social doit prendre en compte ce besoin des individus d’être digne de respect… Qu’attendre des mouvements politiques dans ces luttes pour la reconnaissance ?
  1. Enjeu spirituel : Pour nous, c’est surtout à un troisième niveau que les analyses d’Axel Honneth renouvellent nos propres approches et stimulent notre réflexion : conscients des fragilités de notre démocratie, nous estimons, avec Tocqueville et beaucoup d’autres Républicains humanistes, que la démocratie a besoin de « valeurs » et même de « spiritualité » ( ce mot étant compris dans un sens très large incluant des démarches individuelles et collectives, rattachées ou non à une religion, avec ou sans Dieu…). Pour mobiliser ses membres et pour surmonter les épreuves, la démocratie américaine au temps de Tocqueville (comme toutes les démocraties qui lui ont succédé), s’est appuyée sur des valeurs qui dépassaient les intérêt individuels ou sur un « sens » donné à l’histoire collective, qui transcende les histoires individuelles.

Or de nos jours, nous semblons traverser une panne du sens ; les valeurs républicaines ne mobilisent plus dans les banlieues, ni auprès des jeunes… ni auprès des personnes en situation d’exclusion, ni auprès de toutes les communautés d’hommes et de femmes qui mènent des luttes collectives … Quelles valeurs et quelles spiritualité peuvent-elles mobiliser ?

Nous ignorons les positions d’AxelHonneth sur cette thématique, et il va nous la préciser, mais d’ores et déjà, sa problématique nous aide à mieux poser les questions en nous amenant à relier ces valeurs, (lui parle de « capacité normative ») aux luttes identitaires des uns et des autres : avant de vouloir imposer artificiellement des « valeurs républicaines abstraites » qui n’ont plus de prise sur nos concitoyens, examinons les valeurs auxquelles les individus et les groupes identifient concrètement leur propre identité. Comprenons de quelle manière ils se sentent blessés quand ils estiment que ces valeurs sont bafouées. Alors… et alors seulement, nous pourrons proposer des « valeurs démocratiques » qui ne soient pas déconnectées de leurs quêtes d’identité ! La « théorie critique » d’Axel Honneth s’appuie sur les sciences humaines (sociologie, anthropologie, psychologie sociale) pour éclairer la « dimension normative des conflits et de toute vie en société ». Cette approche cherche à montrer comment s’opère le choix des normes et des valeurs de façon à la fois collective (puisque c’est le groupe qui propose ses normes et qui les transforme) et individuelle et même intimes (puisque c’est l’individu qui les intériorise, qui les fait jouer en fonction de ses propres attachements et de ses aspirations…)

Ainsi la problématique de la reconnaissance nous aide à comprendre à la fois :

  • pourquoi les valeurs républicaines et laïques n’accrochent plus auprès d’une grande partie de la population française car elles sont complètement déconnectées de leurs quêtes d’identités
  • et pourquoi, au contraire, le religieux fait un retour en force, car il sait, lui, apporter des réponses consistantes à toutes ces quêtes d’identité… mais avec tous les risques de dérives identitaires et communautaristes.

Ces analyses peuvent donc nous aider à réfléchir à ce que Jacques Ion appelle un nouveau régime de citoyenneté, non pas une citoyenneté républicaine abstraite anonyme et sans visage, mais une citoyenneté qui prenne en compte les singularités et les inégalités ainsi que les quêtes de reconnaissance des individus et des groupes.

Dans un tel régime de citoyenneté, les mouvements spirituels pourraient prendre toute leur place dans la mesure où ils aident les uns et les autres à se faire reconnaître, dans le respect de l’altérité et dans le refus du communautarisme et de l’intolérance.

Vaste programme pour ce thème de la reconnaissance qui pourrait ainsi contribuer à refonder une laïcité ouverte !

Bilan de la soirée

Le 11 mars, le groupe « Démocratie valeur spirituelle » a tiré le bilan suivant :

  • Complète satisfaction pour l’affluence (en période de vacances, avec des délais de préparation fort courts), et pour la qualité de l’intervention et de la traduction.
  • Confirmation des analyses que nous avions précédemment menées sur la pensée d’Axel Honneth  tant au sein de Démocratie & Spiritualité que de La Vie Nouvelle.
  • Bien fondé de ses analyses pour le Travail Social dans les banlieues, mais aussi pour le travail de thérapeute ; il y a là un type d’utilisation des sciences humaines réellement fécond pour comprendre les conflictualités et les potentialités de notre société ; il apporte aux sciences politiques les approches de psychologie sociale qui mettent au grand jour les poches de mépris, de honte, de mésestime ; il permet une articulation entre des domaines d’habitude étanches : le juridique, l’affectif, les motivations sociales et professionnelles ; il contribue à une « psychologie morale » (si l’on peut oser le terme…) qui cherche à comprendre comment s’élaborent et se confrontent les échelles de valeur.
  • Le mini-débat a permis de confronter le concept de « valeur » (que nous utilisons aisément pour en appeler à un « sursaut » et dont Honneth souligne qu’elles ne font plus consensus dans notre société) avec celui de « norme » ou de « normativité » (auquel recourt toute action collective et toute vie en société, sans que les règles soient franchement conscientes ni explicites et sans faire appel à la volonté, mais plutôt à une sensibilité…)
  • Ainsi la « reconnaissance de soi, de l’autre et des divers modes de valorisation » pourrait aider à comprendre le créneau que les spiritualités ont à prendre au sein des multiples quêtes de reconnaissance
  • Mais Axel Honneth s’est lui-même montré fort réticent à venir sur ce dernier terrain… On sent chez lui une certaine défiance à l’égard des spiritualités, ayant une vision assez « allemande » et mystique de la spiritualité. Certains ont même trouvé chez lui une certaine platitude rationaliste… mais ce n’était pas l’avis de tous !
  • Cette soirée a marqué une étape dans notre réflexion ; elle a permis de « rendre publique » nos recherches. Mais quant à nous, nous pousserons notre compréhension de ce concept sur notre propre terrain : quel est le « moteur de la reconnaissance » ? Qu’est-ce qui nous amène à pousser plus loin la « reconnaissance » ? Comment s’y articulent « intériorité » et « extériorité » ? La reconnaissance exige un effort d’intériorité qui appelle à sortir d’une position victimaire… on peut même parler de conversion, de « métanoia » au sens étymologique d’un changement d’ esprit ou d’approche, avec toute la dimension d’objectivité que comporte ce retournement de conscience. Et jusqu’où peut nous mener la reconnaissance… de « soi », de l’ « autre »… du « tout autre » ?
  • Avec Axel Honneth, la reconnaissance nous entraîne à sortir de notre subjectivité à travers des interactivités multiples et objectives. Axel Honneth partage avec nous le même intérêt pour des actions exemplaires qui débusqueront les poches de mépris ou de mésestime… mais qu’est ce qui peut y inciter notre société ?

Echo d’une participante, Geneviève ESMENJAUD

« Cette soirée et plus largement, le thème de la reconnaissance rejoignent mon expérience et la très, très modeste fécondité de mon travail de psychothérapeute.

Au passif se sentir reconnu, et à l’actif reconnaître l’autre. Cela renvoie à la responsabilité de la personne ou du groupe ayant autorité (appel à croître et faculté d’autoriser) sur l’autre, celui qui est en dépendance.

N’y a-t-il pas une autre forme de reconnaissance qui consiste à reconnaître ce qui est non dépendant de l’autre, offert en gratuité à qui veut bien s’y ouvrir en confiance ? Découvrir qu’autour de soit, dans le cosmos et dans l’environnement, il y a du bon, du gratuit et du bienfaisant… et surtout en soi-même redécouvrir (peut-être guidé par un autre) une source à désensabler pour en laisser jaillir l’énergie vitale en tout homme, cette fidèle gratuité qui le fait croître en conscience et qui lui permet de dire « JE », indépendamment de l’autre : « JE sens que JE suis vivant ». Et cette dignité retrouvée, reconnue en soi-même, permet de tenir bon pour parler, pour questionner…

Tout ceci bien sûr ne résout pas le problème essentiel de la responsabilité évoquée au début, mais permet souvent à une personne de moins subir, d’arriver à une lucidité, à un début de liberté pour se faire respecter, ce qui peut enclencher un processus favorable à elle et à son groupe. »

Christian Saint-Sernin

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