La revue Esprit a été fondée en 1932 par Emmanuel Mounier, à la recherche d’une 3ème voie entre capitalisme libéral et marxisme. Après la guerre, elle essaie de faire naître une « nouvelle gauche ». Fortement marquée par le christianisme, elle conserve aujourd’hui son rôle de carrefour intellectuel en prise avec le politique et compte aussi en son sein des non-croyants et des non-chrétiens.
Revue ESPRIT, mars-avril 2007 (350 pages)
Ce n’est pas la première fois que la revue créée par Emmanuel Mounier consacre un dossier aux problèmes religieux, à la laïcité, aux « religions sans dieu »… Cet abondant dossier est intéressant pour tous ceux qui, à D&S, se posent la question du religieux en lien avec le spirituel et le politique. Le bureau a proposé de débattre autour des articles de ce numéro. Voici comment il est présenté sur le site de la revue :
« Lorsque l’on cherche à définir le devenir des religions dans le monde contemporain, c’est le thème du « retour » qui s’impose le plus souvent. Retour de la foi et des pratiques dans un monde « réenchanté » ou « retour du refoulé » religieux : la tentation est forte d’analyser le nouveau à l’aide des catégories de l’ancien.
La revue présente les mutations contemporaines des religions en insistant autant sur ce qui est nouveau que sur ce qui rappelle le passé.
Construit en trois temps, le dossier envisage successivement le statut complexe de la sécularisation en Europe, la vague évangélique et pentecôtiste dans le monde et les nouvelles modalités de la foi et de l’athéisme. Dans tous les cas, il s’agit de faire droit aux mutations qui, contre toute attente, ont vu émerger des formes nouvelles de la radicalité monothéiste dans un monde technicisé. De ce point de vue, l’islam n’est pas forcément la religion la plus florissante, c’est une certaine forme de christianisme (évangélique et/ou charismatique) qui tend aujourd’hui à s’imposer dans le monde.
On peut bien, à cet égard, parler d’un « paradoxe européen » puisque l’Europe est le seul continent où les phénomènes de déconfessionnalisation semblent suivre un cours attendu. L’image du « bricolage » religieux convient bien pour exprimer un régime individualisé de croyances et de pratiques, une sorte de marché de la foi où règne la libre concurrence. Mais dans le reste du monde, la concurrence est acharnée et souvent déloyale. Le communautaire l’emporte partout sur l’individuel, ce qui n’implique nullement que la « forme Église » traditionnelle s’impose à nouveau. Les églises qui ont aujourd’hui le vent en poupe sont des églises contraignantes sans être hiérarchiques, moralisatrices mais peu tournées vers le monde.
C’est finalement, au travers des mutations institutionnelles, le régime des croyances qui se transforme. La troisième partie du dossier prend justement pour objet cette question de la foi en proposant des études sur ce qui la motive (la question du mal), sur les références qui sont aujourd’hui les plus présentes et sur les conflits entre monothéisme, paganisme et athéisme. Dans ce cadre, nous avons choisi de rééditer l’entretien avec Jean-Tousaint Dessanti publié une première fois dans le numéro de juin 1997 de la revue (Le temps des religions sans Dieu). Philosophe athée, Dessanti n’a pas pour autant réduit la croyance au rang des accessoires dont un monde rationalisé peut se passer. En demandant « ce que peut être le spirituel pour quelqu’un qui n’a pas d’expérience religieuse », Dessanti rappelle que la croyance est toujours associée à la question de l’autre et que c’est dans cette mesure qu’elle demeure irréductible. En bon phénoménologue, l’auteur réfléchit en termes d’« horizons » et tente de montrer que le religieux s’impose toujours comme l’« horizon des horizons », ce qui fait tenir ensemble les différentes perspectives (nécessairement partielles) que nous adoptons sur le monde. Le « besoin de croire », thème par ailleurs éculé, reçoit ici un sens concret et pourtant non psychologique. Le religieux (à ne pas confondre avec les religions) trouve son origine dans le caractère insatisfaisant de nos perceptions et de nos évaluations. Qu’il prenne la figure du fantasme de l’Un ou celle de l’accueil de l’autre, il fait toujours signe vers un horizon d’achèvement sans lequel on n’expliquerait pas la permanence des discours de la foi dans le monde contemporain. »</FONT>
A lire à mon avis en premier les introductions du numéro et de chaque partie intitulées « l’exception européenne face aux dynamiques des religions », « Europe : héritage méconnu ou liberté radicale », « puissances de la foi, séduction du marché », « le nouveau débat entre monothéisme et paganisme : sortir de l’Un sans le renier, consentir au pluralisme ».
Quelques questions clef abordées dans des articles :
- par Paolo Prodi : « l’histoire de l’Europe, qui a permis de distinguer les deux cités, spirituelle et temporelle, peut-elle encore irriguer le rapport des religions au politique ou entre-t-on dans un monde où une double allégeance devient inconcevable ? »
- par Michel Marain et OlivierRoy : « l’Islam pose-t-il des problèmes particuliers aux États sécularisés ou témoigne-t-il, à sa manière, d’évolutions qui concernent l’ensemble des religions ? »
- par Bérangère Massignon : « comment l’Union Européenne traite-t-elle le rapport des religions à l’ensemble qu’elle cherche à constituer ? »
- par Olivier Roy : « le découplage de la religion et de la culture : une exception musulmane ? »
- par Paul Valadier : « l’élimination de la référence au mal est-elle bénéfique, notamment en politique ? »