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par Jean-Baptiste de Foucauld
Une des difficultés du débat actuel sur l’Europe, c’est que les argumentaires du oui et du non ne se rencontrent plus et ne dialoguent plus ensemble. Le débat roué dans la dernière lettre de DS en est une illustration vivante et plutôt attristante.
L’argumentaire du oui, est fondé sur la raison, sur l’acceptation d’un progrès réel mais limité de l’Europe, sur cette idée sage que le mieux, en politique, est souvent l’ennemi du bien. Cet argumentaire ne répond à l’évidence pas bien aux aspirations, aux désirs, aux refus, des partisans du non. C’est un constat.
Nous voilà ramené a un problème classique de politique spirituelle : l’équilibre toujours difficile entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. La première plus radicale, aboutit souvent à des résultats inverses de ceux qui sont visés. La seconde a les avantages et inconvénients inverses.
Puisque le non, au moment où ces lignes sont écrites, a une force de conviction croissante, il faut s’interroger sur les conséquences que son éventuelle victoire pourraient avoir. En un mot, les objectifs légitimes que poursuivent les tenants du non, pour une Europe différente, pour une Europe plus fédérale et plus sociale, sont-ils bien servis par leur vote, où risquent-ils d’aboutir au résultat inverse de ce qu’ils souhaitent ?
Cette question et légitime. Dire non est une attitude éthique, mais à condition de se préoccuper des conséquences ! Qu’en serait-il en Europe ? Plusieurs hypothèses sont possibles.
Si la France est seule en Europe à refuser le traité, sera-t-elle en mesure de négocier ce que veulent les tenants du non, une fois les 25 processus de ratification achevés ? Il y a en fait bien peu de chances. Il faudrait pour cela que le désir d’une autre Europe monte suffisamment un peu partout et soit suffisamment homogène. Sinon, on risque fort de laisser la France à la porte de la nouvelle Europe en train de se construire. Si la France n’est pas seule à dire non, il est probable que les motifs du non ne seront pas homogènes. Un non anglais, ou polonais, ou les deux, n’auront pas du tout la même signification. Ces « non » mis ensemble ne seront pas constructifs. On reviendra aux traités actuels, avec, enmoins, les avancées institutionnelles et sociales (oui, sociales) de la Constitution . L’Europe fonctionnera sans cadre, et risquera d’autant plus de dériver une zone de libre échange.
Le désir politique d’une autre Europe a-t-il plus de chance de pouvoir s’exprimer efficacement, en construisant un cadre complètement nouveau, ou a-t-il davantage de chances de s’exprimer efficacement dans le cadre imparfait mais réel qui est proposé tout de suite. Pour moi, il n’y a pas de doute : si ce désir est fort et bien partagé, il pourra plus facilement s’exprimer dans le cadre proposé plutôt que de s’épuiser dans l’effort incertain de construction d’un nouveau cadre pour lequel un consensus à 25 sera difficile à réunir. Si ce désir est limité à la France, il entraînera l’Europe dans l’immobilisme.
Faut-il alors créer un nouveau cadre avec un petit groupe d’Etats. Mais lesquels ? Avec les Allemands (et les réformes et Schroëder) ? Avec Berlusconi ? Avec Zapatero (qui vient de faire voter oui) ? Et que dirons alors ceux qui seront laissés dehors ? Ils ne seront pas contents ! L’Europe renouera avec ses infinies querelles, pendant que le monde, la Chine, l’Inde, les Etats-Unis avanceront de leur côté. Il n’y a aucune fatalité, aucun déterminisme à faire l’Europe. Celle-ci peut tout aussi bien se défaire ! Voter non, dans un tel contexte, c’est jouer aux apprentis sorciers. Mieux vaut nourrir le oui d’une exigence plus forte. Ce sera, à terme, bien plus productif
Et aussi, dans l’argumentation, évitons de faire l’Europe responsable de tous nos maux. L’Europe n’est pas la cause de la crise sociale française, du chômage qui y règne, sinon pourquoi tant de pays en son sein seraient-ils en quasi plein emploi ? Mieux vaut s’en prendre à nous-mêmes, à notre incapacité de stratégie collective, à notre contre modèle de relations sociales miné par l’individualisme. La technique du bouc émissaire est une facilité, non une attitude spirituelle ou démocratique, ou alors les écrits de René Girard sont vains !
Un mot aussi sur la directive Bolkenstein. Elle pose beaucoup de problèmes, mais ce ne sont pas ceux qu’évoque la lettre 44. En cas de détachement d’un salarié dans un autre pays, il y a, précisément, dérogation au principe du pays d’origine et c’est le salaire minimum du pays d ’accueil qui s’applique. Quant à l’article 25, il permet bien à un prestataire de détacher dans un autre pays un ressortissant d’un pays tiers, mais Didier Minot a oublié de préciser que le travailleur doit lui-même résider légalement sur le territoire du pays d’origine et y occuper un emploi régulier (article 25, alinéa 3) En décider autrement constituerait une discrimination inacceptable.
Le texte de la constitution, avec ses nuances, ses contradictions, forme un tout Il faut le prendre dans un ensemble, et non braquer l’objectif sur un alinéa plutôt qu’un autre. C’est une base de l’éthique de la discussion : envisager tous les aspects du problème, et instruire le procès a charge et a décharge.
A chacun, ensuite, en conscience, de se déterminer.
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